mardi 29 mars 2011

You don't need no doctor, you don't need no pill...


Rory Gallagher a laissé à la postérité le souvenir d'un musicien puriste et talentueux partageant son art avec enthousiasme et humilité. Derrière le musicien se cache un homme, effacé et solitaire, en proie à des démons qui culmineront pendant la deuxième partie de sa carrière.
Cet article n'a aucunement pour but de donner dans le voyeurisme, mais de tenter d'expliquer comment un musicien élevé au rang d'icône a pu sombrer petit à petit dans l'enfer de la dépendance aux médicaments et à l'alcool. Et aussi de remettre les pendules à l'heure concernant certaines rumeurs persistantes sur ce sujet.

D'après Donal Gallagher (frère et manager de Rory), les premiers signes du malaise ont commencé à faire surface à la fin des 70's. Comme Wilgar Campbell (batteur du RGB MK I) quelques années auparavant, la peur chronique de prendre l'avion a fini par faire surface.
Mais Rory ne pouvait laisser cette peur le dominer, ne plus prendre l'avion c'était tout simplement tirer un trait sur sa vie de musicien. Pour palier à ce stress, il se fait prescrire des médicaments qui ont pour effet d'atténuer cette peur. Mais très vite il va en prendre pour d'autres raisons comme l'explique son frère:

"Je pense que c'était la pression. Il portait trop de casquette à la fois. Il était son propre producteur, son propre compositeur, son propre manager... avec toute la tension, les tablettes de pilules devaient probablement le détendre, aussi il a commencé à en prendre pour d'autres raisons. Bien sûr après elles n'étaient plus assez fortes, alors il retournait constamment chez le médecin pour augmenter les doses. Rory était très discret à propos de tout ça. Il allait les avaler dans la salle de bain."

Comme tout bon irlandais qui se respecte, l'alcool fait parti du folklore et finit inévitablement par se joindre à la fête. C'est un thème récurrent des chansons de Rory, mais dans les 70's il est abordé avec beaucoup de légèreté (Too Much AlcoholBarley & Grape Rag) alors qu'à partir des 80's le ton se fait beaucoup plus grave et ce thème est abordé avec beaucoup plus de pessimisme et de fatalité (Ghost Blues).
L'alcoolisme de Gallagher s'accompagnait d'une prise excessive de comprimés en tout genre. Parmi ces derniers on dénombre une prise régulière d'anabolisants (ou stéroïdes) couplé à l'alcool les effets sont dévastateurs comme l'explique Donal:

"J'ai réussi à le faire entrer dans une clinique et le médecin a dit [Vous réalisez que le problème n'est pas tellement l'alcool. C'est les pilules ! ] Il a fustigé le médecin privé de Rory de lui avoir prescrit la quantité de chose qu'il avait. Ce n'était pas une prescription de tablettes, c'était la combinaison. Jeté dans l'alcool et vous obtenez un cocktail détonnant."


La prise de ces médicament entraîne des changements physiques chez Gallagher. Une métamorphose clairement visible à partir de 1987, date de la sortie de l'album Defender, le guitariste a pris énormément de poids. Les 5 années de silence discographique couplé à l'annulation de l'album de 1986 (Torch) ayant sûrement été des soucis supplémentaires qui ont joué leur rôle dans l'aggravation de l'alcoolisme et la prise de comprimés de Rory. Et si l'on ajoute à cela l'immense solitude qu'éprouve Gallagher lorsqu'il n'est pas en tournée.

D'après Donal Gallagher, il n'a réellement pris conscience de l'état de son frère qu'à partir de 1990. Voyant que l'inactivité renforçait encore plus son mal être, il décide de le faire tourner un maximum: "Le seul remède pour Rory était de le garder actif, lui donner des dates et lui donner une vie...".
Mais même une fois sur la route, il n'arrête pas pour autant ses mauvaises manies et certains concerts pâtissent de ce comportement. Comme ce concert de décembre 1992 au Bataclan (Paris) où le guitariste visiblement imbibé d'alcool et sous l'effet des médicaments offre un spectacle déconcertant pour l'assistance.
Ce genre d'incidents devient vite récurrent comme l'explique Donal:

"A un des concerts londonien important, Rory a visiblement pris des tablettes ou quelque chose du même genre et les a immergés dans un verre de Cognac. Il allait bien avant de monter sur scène. Mais dans les 20 minutes à une demi heure, il ne pouvait pas comprendre pourquoi ses doigts étaient engourdis."

Comme le montre certains boots du débuts des 90's, les effets de l'addiction ont un impact sur la musique interprétée. Par moment Rory semble chercher ses notes ou les faits durer plus que de raison et lorsqu'il chante il peine à reprendre son souffle par moment.
Mais lorsqu'il est mis à l'écart des comprimés, il lui arrive de donner le meilleur de lui même comme le démontre le concert de Montreux 1994 ou le concert de Cologne de 1990.

"Sur l'une des dernières tournées, j'ai fais irruption dans son dressing, volé son sac dans le but de prendre les médicaments et voir ce qui allait se passer. Ses symptômes de sevrages étaient colossaux. Après une semaine, il transpirait les toxines et son appétit était revenu. Après trois semaines, il jouait mieux que jamais."
Malgré toutes les tentatives de Donal, les effets dévastateurs de l'alcool et des médicaments ont mis à mal la santé de Rory et provoqué des dégâts irréversibles au foie.
Lors de son ultime concert le 10 janvier 1995 aux Pays-Bas, il s'écroule sur scène. En mars de la même année, il subit une greffe d'urgence qui s'avère dans un premier temps un succès:

"Il entrait et sortait du coma et j'ai dû prendre la décision de faire une transplantation de foie, " raconte Donal. "Je ne m'attendais pas à être confronté à quelque chose comme ça, et l'horloge tournait parce que nous devions attendre un donneur."

Mais un microbe attrapé peu après l'opération va affaiblir son système immunitaire qui va conduire au rejet de la greffe. Les tentatives durant cette période de 3 mois d'agonie vont toutes échouer. Malgré les bons mots de rétablissement d'un Bob Dylan et les quelques notes d'harmonica de Mark Feltham, Rory décède le 14 juin 1995 au Kings College Hospital de Londres à seulement 47 ans.



Kings College Hospital de Londres
A l'annonce de son décès, les hommages affluent de toutes parts, ventants le talent et la générosité du défunt guitariste. Comme un rappel à ceux qui l'ont oublier, un journaliste du Irish Times dira: "Rory était dans tous les esprits le mercredi (jour de son décès), mais combien pensaient à lui le mardi ?"
Les obsèques de Rory ont lieu le 17 juin 1995 à Cork dans l'église du Saint Esprit en présence de sa famille, ses proches et ses vieux compagnons de route ainsi qu'une foule d'admirateurs venue lui rendre un dernier hommage.
Son corps repose au St Oliver's Cimetery à la sortie de la ville.

Tombe de Rory Gallagher au St Oliver's Cimetery

"It's better to burn out than to fade away" comme le dit un autre solitaire, Rory Gallagher a malheureusement choisit la seconde option, ce qui rend son trépas bien plus amer encore...

lundi 14 mars 2011

Fresh Evidence (1990)

For The Last Time


1. Kid Gloves - 5'40
2. The King Of Zydeco - 3'43
3. Middlename - 4'15
4. Alexis - 4'07
5. Empire State Express - 5'08
6. Ghost Blues - 8'01
7. Heaven's Gate - 5'09
8. The Loop - 2'23
9. Walkin' Wounded - 5'09
10. Slumming Angel - 3'40

Bonus Tracks de la réédition de 2000:


1. Never Asked You For Nothin' - 4'29
2. Bowed Not Broken - 3'26

Que de chemin parcouru depuis l'époque Taste ! Vingt années après le dernier opus de la fameuse formation (cf. On The Boards) peu d'artistes peuvent se vanter d'avoir eu une carrière aussi remplie, tant sur le plan discographique que scénique. Si les 80's ont été un virage déroutant pour plus d'un artiste issu de la même génération que Rory. Ce dernier malgré deux opus légèrement inférieur à su résister aux modes et préserver sa musique de toute emprise extérieure.
Malheureusement cette indépendance a un prix, passé de mode aux yeux des maisons de disques (qui lui préfèrent un Stevie Ray Vaughan ou un Gary Moore), il essuya plusieurs refus de la part de certains distributeurs (notamment aux Etats-Unis) pour sortir Fresh Evidence. Il trouvera toutefois écho au près de IRS Records qui publia son ultime album le 1er mai 1990.

Pochette Originale
Fresh Evidence marque encore plus que son prédécesseur Defender, l'ambition du guitariste de renouer avec les racines Blues. Délesté de la production 80's qui faisait défaut sur l'album précédent, ce nouvel opus gagne en crédibilité et en profondeur. Malgré un line up inchangé (Brendan O'Neil, Mark Feltham et Gerry McAvoy évoluant toujours à leur poste respectif) le groupe élargit son champ de vision musical avec l'apport de musiciens extérieurs (Geraint Watkins à l'accordéon, Lou Martin et John Cooke aux claviers et la section de cuivre assurée par John Earle, Ray Beavis et Dick Hanson)
Gallagher renoue avec la versatilité des premiers disques et sa vision du Blues tranche considérablement avec la tendance en vogue à l'époque. Ici le texte prévaut autant que les parties de guitares et n'est pas prétexte à d'interminable solos. Le Blues est le langage de l'âme et cela le guitariste l'a bien compris.

Kid Gloves qui ouvre l'album est un Rock énergique soutenu par une section de cuivre et par le piano de Lou Martin (dont c'est la deuxième apparition sur un album de Rory depuis Defender). Le texte est dans la lignée des thèmes appréciés par Rory - à savoir les histoires d'espionnages et de romans noirs. 

Loanshark Blues sur l'opus précédent montrait l'intérêt de Rory pour le Swamp Blues et le Blues à tendance Cajun/Zydeco. Avec The King Of Zydeco, il embrasse littéralement le genre avec l'apport de l'accordéon de Geraint Watkins (célèbre pianiste et accordéoniste qui outre Rory a joué avec Dr Feelgood, The Fabulous Thunderbirds, Eric Clapton...). Le titre est avant tout un hommage à l'accordéoniste Clifton Chenier.


Middlename est lui aussi un hommage mais à John Lee Hooker cette fois. La rythmique est lourde et hypnotique et l'apport de l'harmonica de Mark Feltham ne fait que renforcer les parties de guitares finement ciselées de Gallagher.
Alexis est un instrumental dans le pure style Zydeco où il est cette fois question de rendre hommage à Alexis Korner, le pionnier du British Blues avec John Mayall. Rory a eu la chance de le côtoyer, notamment à ses débuts lorsqu'il officiait dans les showbands.


Gallagher l'a prouvé tout au long de sa carrière, sa maîtrise de la steel guitar et du Delta Blues en font l'un des plus grands spécialistes du genre. La reprise de Empire State Express du bluesman Son House montre que Rory est l'un des rares guitaristes anglais (et même au monde) a être capable de rentre justice à un tel morceau.
Ghost Blues avec son intro sur fond de mandolas et de synthé est un titre Blues assez pessimiste en dépit de son rythme frénétique. Rory y traite de l'alcool comme dans bien des titres de sa discographie, mais à la seule différence où les paroles semblent faire écho de son propre alcoolisme. Avec une issue pour le moins tragique...

Un malaise d'autant plus renforcé par le titre suivant Heaven's Gate (littéralement La porte du paradis) qui conte l'histoire d'une impossible rédemption. Musicalement on se retrouve dans le prolongement de Middlename avec des échanges d'harmonica et de guitares de hautes volées.
Si Gallagher a inséré The Loop dans la setlist de ses concerts à partir de la fin des 80's, il faudra attendre 1990 pour le voir intégrer un de ses albums. Il s'agit d'un instrumental dans une veine Chicago Blues qui fait allusion au métro aérien de la ville de Chicago comme en témoigne le son de métro en introduction du titre.
Walkin' Wounded est un titre blues/rock dans la pure tradition Gallagherienne. Avec de splendides interventions de saxophones.
L'album original se termine avec Slumming Angel, un titre Rock plus classique se démarquant du registre Blues prononcé du reste de l'album.

Le remaster de 2000 voit l’intégration de deux bonus tracks: Never Asked You For Nothin' un shuffle blues dans une veine cajun/zydeco où l'accordéon de Geraint Watkins fait de nouveau des merveilles. Bowed Not Broken joue la carte du Rock et montre clairement ce qu'aurait pu donner certains titres Rock des albums des 80's, si ils avaient bénéficié d'une production adaptée. Car sans être une merveille ce titre reste agréable à l'écoute, notamment grâce aux légers traits de slide émaillant les couplets.


Bien que diversifié, original et personnel - Fresh Evidence ne trouvera pas son public et la descente aux enfers amorcée depuis 1987 entraînera Rory Gallagher jusqu'à ce jour fatidique de juin 1995.
Ce qui devait s'avérer être comme une renaissance se transforma en testament musical...





jeudi 10 mars 2011

Defender (1987)

Back to the Roots



1. Kickback City - 4'51
2. Loanshark Blues - 4'29
3. Continental Op - 4'34
4. I Ain't No Saint - 5'00
5. Failsafe Day - 4'25
6. Road To Hell - 5'21
7. Doing Time - 4'08
8. Smear Campaign - 4'49
9. Don't Start Me To Talkin' - 3'37
10. Seven Days - 5'15

Bonus Tracks de la réédition de 2000:


1. Seems To Me - 4'54
2. No Peace For The Wicked - 4'06

Cinq années séparent Defender de son prédécesseur Jinx. Un laps de temps conséquent qui témoigne des errements et des doutes du guitariste. Et outre les soucis d'ordres artistiques, il doit faire face à des problèmes d'ordres privés qui ont débouché sur une dépendance à l'alcool et aux médicaments (cf. Anabolisants) qui l'ont profondément marqué physiquement.
Defender est en fait la deuxième tentative de Rory de livrer un nouvel opus depuis Jinx. Initialement un album intitulé Torch devait sortir en 1986 - mais comme pour l'album avorté des sessions de San Francisco de 1977, il l'envoya à la poubelle.
C'est toujours avec Brendan O' Neil à la batterie et le fidèle Gerry McAvoy à la basse que Gallagher enregistre Defender en 1987. Il sort sur son tout nouveau label Capo, crée une fois de plus pour avoir la main mise sur la musique qu'il produit.

Pochette Originale
Kickback City qui ouvre l'album ressemble à une chute de Jinx tant il se rapproche du registre Heavy Rock des titres qui composent cet album. Un riff d'intro lourd, un solo joué sur Coral Sitar et un son de clavier très typé 80's... avec ce titre Rory semble faire ses adieux à la voie Hard/Heavy qu'il avait entrepris à la fin des 70's. Le fait de le voir ouvrir l'album n'est sûrement pas anodin.

Loanshark Blues incarne à merveille la nouvelle voie sur laquelle Rory à décidé de s'aventurer. En réalité plus qu'une nouvelle orientation, il s'agit avant tout d'un retour aux sources. En effet c'est sous les traits du Blues que Rory fait son retour. Moins flamboyant et tape à l'oeil qu'auparavant c'est sous un jour plus mature et réfléchi qu'il aborde de nouveau cette musique sur disque. Loanshark Blues s'inscrit dans un registre Swamp Blues de par son rythme.

La passion de Rory pour les polars et romans d'espionnages atteint son paroxysme avec Continental Op. Inspiré du héros du même nom, crée par le célèbre auteur de roman noir Dashiell Hammett, le titre se présente sous la forme d'un boogie rock solide. Un nouveau standard scénique qui ouvrira la majorité des concerts du guitariste jusqu'à l'ultime prestation de janvier 1995.

I Ain't No Saint poursuit dans la même veine bluesy mais cette fois Rory doit rivaliser de virtuosité avec l'harmoniciste Mark Feltham (ex- Nine Below Zero) qui intègre le Rory Gallagher Band de la plus belle des manières. L'intégration d'un harmoniciste aussi talentueux va apporter un équilibre et une nuance à la musique de Gallagher qui avait fait défaut sur les derniers albums.


Dashiell Hammett le créateur du Continental Op.
Rory renoue avec le Rock sous les traits de Failsafe Day où il fait part de son angoisse de la prolifération des armes nucléaires. Une composition assez moyenne finalement, le riff rappelant par moment le riff du Start Me Up des Rolling Stones. Ce qui pèche sur ce titre c'est le chant de Rory sur les couplets sonnant assez mainstream.
Au sujet de la voix, il est intéressant de constater son évolution depuis ses débuts. D'une voix claire et rocailleuse, il est passé à une voix très grave. Un changement sûrement à mettre au crédit d'une consommation excessive d'anabolisants mais aussi des tournées à répétition.
Road To Hell joue lui aussi dans une veine Rock stonienne mais avec plus de réussite.

Doing Time est à l'image des boogie rock fiévreux que Gallagher composait dans les 70's. Un riff de guitare tranchant avec de grosses parties de slide guitar soutenue par une rythmique sans faille.
Plus léger Smear Campaign où Rory joue en son clair est une compo plaisante à défaut d'être originale. Toutefois il est intéressant de se pencher sur les paroles où Rory dénonce la corruption politique.

Don't Start Me To Talkin' est la grande reprise Blues de l'album Defender. A l'origine joué par le bluesman harmoniciste Sonny Boy Williamson II (aka Rice Miller), l'apport de Mark Feltham est pour ainsi dire primordiale. Rory de son côté n'est pas en reste car il montre, en cette décennie du second revival Blues, qu'il fait partie de ceux qui connaissent le mieux cette musique.

L'édition originale de 1987 se termine avec un titre acoustique. Seven Days renoue avec le Blues acoustique après tant d'année d'absence de ce style dans la discographie de l'irlandais. Un Blues tout à fait personnel loin des stéréotypes éculés, même si le texte colle parfaitement aux codes du genre, l'intro à consonance celte suffit à elle seule d'en faire l'un des blues les plus personnels de sa discographie. A noter le retour furtif d'un revenant en la personne de Lou Martin au clavier.

Le remasters de 2000 voit l'intégration de deux bonus tracks qui étaient en réalité présents sur un single accompagnant la première édition de l'album.
Sur Seems To Me le rapprochement avec Stevie Ray Vaughan est tentant. En effet la compo est assez proche des shuffles texan que le guitariste américain avait pour habitude de parsemer au gré de ses albums.
Par contre No Peace For The Wicked aurait largement mérité de figurer dans la tracklist de l'album original. Un titre rappelant les chants de chain gang de par son rythme de batterie et le son poisseux de la guitare rappelant les pionniers du Delta Blues tel que Son House.


Bien qu'étant sorti dans l'indifférence quasi générale car passé de mode, Defender est l'oeuvre d'un artiste mature qui a roulé sa bosse. Un album sans artifice d'un musicien sincère - l'ultime oeuvre du guitariste allait bientôt prouver cet état de fait...







vendredi 4 mars 2011

Jinx (1982)

La poisse



1. Big Guns - 3'34
2. Bourbon - 4'06
3. Double Vision - 5'07
4. The Devil Made Me To Do It - 2'54
5. Signals - 4'46
6. Jinxed - 5'03
7. Easy Come Easy Go - 5'48
8. Nothin' But The Devil - 3'12 (Bonus Track de la seconde réédition)
9. Ride On Red, Ride On - 4'36
10. Lonely Mile - 4'40 (Bonus Track de la seconde réédition)
11. Loose Talk - 4'08

De tous les albums de Rory Gallagher - Jinx est celui qui divise le plus les fans. En cause une production typée 80's qui tranche avec le son des opus précédents. Un certain manque d'inspiration de la part de Gallagher n'est pas à exclure - après 4 années à jouer dans le registre Heavy Rock avec le format trio, les bons riffs et mélodies semblent s'épuiser. L'album marque l'arrivée du batteur Brendan O'Neil (ami d'enfance et compagnon de route de Gerry McAvoy à ses débuts) derrière les fûts, à la place de Ted McKenna qui a quitté le Rory Gallagher Band un an plus tôt.

A l'image des nombreuses rééditions et modifications au niveau de son contenu, on est en droit de se demander si Rory était content du pressage initial. La réédition de 2000 est celle que j'ai choisi de traiter dans cette chronique.

Pochette de l'album original

Pochette de la réédition CD de 1988
Big Guns, Bourbon, Double Vision, The Devil Made Me To Do It sont à l'image de l'orientation amorcé par Gallagher depuis Photo Finish - du rock minimaliste aux solos dévastateurs, reste qu'on a connu Rory plus inspiré au niveau des riffs. L'arrivée de Brendan O'Neil ne semble pas arranger les choses, il ne s'émancipe pas assez du jeu de son prédécesseur qui avait au moins le mérite d'être énergique dans le registre Rock. Toutefois il serait dommage de condamner définitivement ces titres qui ont pris une autre dimension une fois interprétés sur scène par la formation.

Signals est assez emblématique des problèmes avec la production de l'album. Ouvrant l'album original, il a été judicieusement placé plus loin dans la tracklist des deux rééditions. Si le texte de cette chanson témoigne de la détresse de Rory en ce début des 80's, malheureusement musicalement c'est peu convaincant. C'est en effet l'un des titres les plus datés 80's de la discographie de l'irlandais. L'effet sur la guitare et la manière dont Gallagher chante les couplets achève un titre qui est loin d'être inoubliable.

A l'opposé Jinxed se révèle être une bonne surprise. Rappelant un peu le All Your Love d'Otis Rush, Rory y aborde le thème de la superstition: Ça m'a vraiment affecté lors des 10 dernières années. Je tiens ça de ma grand-mère. Elle était très superstitieuse. C'est devenue une phobie, alors je dois prendre garde. Cela affecte beaucoup ton quotidien. Avant d'aller sur scène, il y a certaine chose que je fais comme des semi sorts de gitans superstitieux que j'adapte à ma façon. Elle n'a pas affecté la musique, Dieu merci. Si tu vas vraiment mal, tu dira "Je jouerai cette note plus que celle là ou je chante cette chanson avant celle là".

Easy Come, Easy Go est l'autre bonne surprise de l'album. Rory renoue avec les ballades mélancolique dont il a le secret. Par miracle la production n'entache pas les parties de guitares de ce titre qui sont absolument savoureuses ainsi que son texte à fleur de peau.
Si les titres acoustiques n'ont jamais quitté la setlist des concerts de l'irlandais, leur absence au sein des albums studio s'est fait cruellement ressentir. C'est sans doute pour combler cette lacune que Nothin But The Devil (du bluesman Lightnin' Slim) a été rajouter dans la tracklist de la réédition de 2000. A noter que ce titre a été enregistrer bien avant 1982 puisqu'il figurait en face B du single Hellcat accompagnant la version U.K du Live Stage Struck.

Autre reprise blues - Ride On Red, Ride On du bluesman Louisiana Red dans une veine Chicago Blues assez proche de l'original. Mais ce titre sera majoritairement popularisé par Rory en acoustique lors de la tournée suivant la sortie de Jinx.
Si le son de guitare sur Lonely Mile n'est pas du meilleur effet, l'insertion de ce titre en bonus track sur la réédition de 2000 est une petite bouffée d'air frais. L'ajout de cuivres, de l'orgue et de l'harmonica vient étoffer un titre qui contraste complètement avec le minimalisme des compos Heavy Rock qui ouvre l'album.
Loose Talk qui termine l'album renoue avec le Heavy Rock mais de manière plus subtile. L'ajout de la Coral Sitar apporte une couleur particulière au titre.

Brendan O'Neil/Rory Gallagher/Gerry McAvoy
Jinx malgré les bonnes intentions de son auteur est l'album d'un artiste arrivé en bout de course. Après 4 années a évoluer dans le registre Heavy Rock, la messe semble avoir été dite. Les rares moments où il parvient de nouveau à briller c'est lorsqu'il s'écarte un temps soit peu de ce registre.
En proie à la dépression, la sortie de Jinx suivra un vide discographique de 5 ans. Période durant laquelle le guitariste devra subir une violente remise en question.


mercredi 2 mars 2011

Stage Struck (1980)


1. Shin Kicker - 3'58
2. Wayward Child - 4'32
3. Brute Force And Ignorance - 4'32
4. Moonchild - 6'06
5. Follow Me - 5'56
6. Bought And Sold - 4'39
7. The Last Of The Independents - 5'39
8. Shadow Play - 5'08

Bonus Track de la réédition de 2000:

1. Bad Penny - 6'39
2. Key Chain - 5'03

Si les qualités intrinsèques de Live in Europe et de Irish Tour '74 semblent faire l'unanimité. Le contenu de Stage Struck est l'objet de réserves de la part des amateurs du guitariste irlandais. Enregistré durant la tournée mondiale s'échelonnant de novembre 1979 à juillet 1980, ce troisième live à pour objet de montrer le Rory Gallagher Band MKIII au meilleur de sa forme, en compilant les meilleurs moments de cette intense tournée.

De ce côté il n'y a guère de reproche à faire, Rory et son groupe délivre une musique violente à l'image de ses deux derniers albums avec un engouement non feint et une énergie ne retombant à aucun moment. La principale critique de Stage Struck réside dans le choix des titres. Très (trop ?) hard pour la plupart et pas assez à l'image de ce que le groupe produisait à l'époque. Il n'y a aucune place faites aux titres acoustiques et aux tempos lents pour équilibrer l'ensemble. L'autre critique réside dans la production et le mixage de l'album. La qualité sonore varie selon les titres (ce qui renforce l'aspect compilation) et l'omniprésence de l'écho (comme de l'effet flanger) sur la guitare de Rory peut s'avérer lassant à la longue.

Pochette originale
Shin Kicker le titre d'ouverture de Photo Finish et l'opener de la majorité des concerts de l'époque déclenche les hostilités. La version est solide et violente, la section rythmique parfaitement en place et les solos de Rory dévastent tout sur leurs passages.
Wayward Child issu de Top Priority est délivré avec la même cohésion et la même violence que le titre précédent.
Une légèreté apparente fait surface avec Brute Force And Ignorance où l'absence du mur de mandolines ne fait aucunement défaut. Cependant cette version live reste relativement fidèle à la version studio, avec notamment un solo de slide identique.
La présence de Moonchild est de circonstance, le titre étant la compo la plus hard de l'époque du Rory Gallagher Band MKII.

L'insertion de Bad Penny et Key Chain en milieu de la tracklist dans la réédition de 2000 s'avère au final judicieuse. Cela amène une petite accalmie au milieu d'un live assez éprouvant pour l'auditeur. Le premier titre ne surpasse pas l'originale mais le motif rythmique joué par Rory en plein milieu du morceau est du meilleur effet. Par contre on peut discuter du choix de cette version de Key Chain où Rory termine désaccordé.

Après cette brève accalmie retour au registre Hard avec une version honnête et assez fidèle de Follow Me du récent opus.
Bought And Sold souffre quant à lui de la comparaison avec la version de l'album Against The Grain. Et montre clairement la différence entre Rod De 'Ath et Ted Mckenna. Si le jeu de ce dernier est décisif sur les titres hard des deux derniers albums, il peine par contre à convaincre sur les titres du quartette par son manque de nuance.
The Last of The Independents est livré dans une version de bonne facture, sans réelle surprise, tout comme Shadow Play qui se termine en fade out, closant ainsi définitivement l'album.


Au final Stage Struck s'avère être une relative déception. A aucun moment l'album ne surprend l'auditeur, que ce soit par le jeu de Rory qui fait peu dans la nuance et dans l'improvisation contrairement aux deux lives précédents. Il faut sûrement y voir là une tentative de Gallagher de coller à la mouvance Hard & Heavy montante de la fin des 70's et du début des 80's.
Un choix assez malheureux quand on connait la polyvalence d'un tel musicien. Malheureusement il n'aura plus jamais l'occasion de corriger le tir, puisqu'il s'agit du dernier live publié de son vivant.







mardi 1 mars 2011

Top Priority (1979)



1. Follow Me - 4'40
2. Philby - 3'51
3. Wayward Child - 3'31
4. Key Chain - 4'09
5. At The Depot - 2'56
6. Bad Penny - 4'03
7. Just Hit Town - 3'37
8. Off The Handle - 5'36
9. Public Enemy N°1 - 3'46

Bonus Track de la réédition de 1999:

10. Hellcat - 4'50
11. The Watcher - 5'46

Second album du Rory Gallagher Band MKIII, Top Priority marque encore plus que son prédécesseur l'ambition de Gallagher de livrer une musique brute et minimaliste.
Toujours produit sous la houlette du co-producteur Alan O'Duffy, l'album sort le 16 septembre 1979 sur le label Chrysalis.

Follow Me qui ouvre l'album est un rock brutal avec des parties de guitares assez élaborées. On sent un véritable travail de production derrière avec notamment de nombreux overdubs de guitares. Par la suite ce titre deviendra un standard scénique inévitable avec la particularité que Gerry McAvoy se joindra souvent à Rory pour chanter le refrain.

Kim Philby, le célèbre espion qui inspira la chanson de Rory.
Le thème de l'espionnage est de nouveau abordé sous les traits de Philby, titre en hommage à l'espion anglais Kim Philby qui en réalité travaillait pour le compte de l'U.R.S.S pendant la Guerre Froide. Rory établissait un parallèle entre la vie solitaire du célèbre espion et sa propre existence. Musicalement le titre s'avère assez original de par l'utilisation de la guitare Coral Sitar (prêté par le guitariste des Who - Pete Townsend) donnant un aspect oriental au titre.

A l'instar du titre d'ouverture Wayward Child est un morceau de Rock brutal à la production soignée où l’aspect soliste l'emporte.
Déjà présent en grand nombre sur Photo Finish les titres mid-tempo refont leur apparition, notamment sous les traits du titre Key Chain et son rythme hypnotique soutenu par l'effet flanger de la guitare.
Aux antipodes du morceaux précédent, At The Depot fait dans le high-energy-Rock n' Roll avec un texte débité aussi rapidement que les parties de slide et d'harmonica qui ponctuent le titre.

Pochette originale

Bad Penny est avec Shadow Play (de l'album précédent) le titre emblématique de cette période hard/heavy amorcé par Gallagher en cette fin des 70's. Un riff de guitare au lyrisme celte. Un héritage musical mis au service d'une musique brute et dépouillée. Autant de qualité et de force à un titre qui figure parmi les plus grands standards de l'irlandais.

Just Hit Town avait toutes les qualités requises pour en faire un standard scénique. Un texte brut de décoffrage, un riff de guitare soutenu par une rythmique frénétique et une partie de slide centrale absolument monstrueuse à faire pâlir un Georges Thorogood et tous les barbus texans. Inexplicablement (et à ma connaissance) ce titre ne sera jamais joué sur scène.

Le blues refait son apparition avec Off The Handle, un registre musical qui sied mal à Ted McKenna dont la grosse frappe à tendance à peser sur ce genre de titre. Rory n'est pas exempt de reproche. Si d'habitude il fait dans la nuance, ici son jeu se veut plus Hard que Blues à proprement parler. Ayant la gâchette facile sur les solos qu'il plombe, il est plus proche de Gary Moore que de Muddy Waters. Les versions live suivant la sortie de l'album verront Gallagher beaucoup plus inspiré et nuancé dans son jeu.

L'album de 1979 se termine avec un rescapé des sessions de San Francisco de 1977, Public Enemy N°1. Un morceau Blues Rock à la rythmique et aux licks de guitares funky.

La réédition de 1999 propose deux titres: Hellcat, dans une veine Hard Rock avec de nombreuses parties de slide guitar. (On trouvait originellement ce titre en face A d'un single gratuit, inclus en bonus avec l'édition UK du live Stage Struck de 1980. Et en bonus sur la première version CD de l'album Jinx)
Et le titre The Watcher, un Rock très carré où la lourde frappe de Ted McKenna donne toute sa signification à ce titre. A noter aussi l'effet particulier sur la voix de Rory.


Avec Top Priority, Rory Gallagher semble avoir trouver le juste équilibre. Un album studio sonnant live et tirant le meilleur du potentiel de l'enregistrement studio. Des compositions flirtant avec le hard mais dont les qualités d'écritures empêchent toutes comparaisons avec la concurrence. Et avant tout un album montrant la joie de vivre de son auteur et son plaisir de jouer.