mardi 29 mars 2011

You don't need no doctor, you don't need no pill...


Rory Gallagher a laissé à la postérité le souvenir d'un musicien puriste et talentueux partageant son art avec enthousiasme et humilité. Derrière le musicien se cache un homme, effacé et solitaire, en proie à des démons qui culmineront pendant la deuxième partie de sa carrière.
Cet article n'a aucunement pour but de donner dans le voyeurisme, mais de tenter d'expliquer comment un musicien élevé au rang d'icône a pu sombrer petit à petit dans l'enfer de la dépendance aux médicaments et à l'alcool. Et aussi de remettre les pendules à l'heure concernant certaines rumeurs persistantes sur ce sujet.

D'après Donal Gallagher (frère et manager de Rory), les premiers signes du malaise ont commencé à faire surface à la fin des 70's. Comme Wilgar Campbell (batteur du RGB MK I) quelques années auparavant, la peur chronique de prendre l'avion a fini par faire surface.
Mais Rory ne pouvait laisser cette peur le dominer, ne plus prendre l'avion c'était tout simplement tirer un trait sur sa vie de musicien. Pour palier à ce stress, il se fait prescrire des médicaments qui ont pour effet d'atténuer cette peur. Mais très vite il va en prendre pour d'autres raisons comme l'explique son frère:

"Je pense que c'était la pression. Il portait trop de casquette à la fois. Il était son propre producteur, son propre compositeur, son propre manager... avec toute la tension, les tablettes de pilules devaient probablement le détendre, aussi il a commencé à en prendre pour d'autres raisons. Bien sûr après elles n'étaient plus assez fortes, alors il retournait constamment chez le médecin pour augmenter les doses. Rory était très discret à propos de tout ça. Il allait les avaler dans la salle de bain."

Comme tout bon irlandais qui se respecte, l'alcool fait parti du folklore et finit inévitablement par se joindre à la fête. C'est un thème récurrent des chansons de Rory, mais dans les 70's il est abordé avec beaucoup de légèreté (Too Much AlcoholBarley & Grape Rag) alors qu'à partir des 80's le ton se fait beaucoup plus grave et ce thème est abordé avec beaucoup plus de pessimisme et de fatalité (Ghost Blues).
L'alcoolisme de Gallagher s'accompagnait d'une prise excessive de comprimés en tout genre. Parmi ces derniers on dénombre une prise régulière d'anabolisants (ou stéroïdes) couplé à l'alcool les effets sont dévastateurs comme l'explique Donal:

"J'ai réussi à le faire entrer dans une clinique et le médecin a dit [Vous réalisez que le problème n'est pas tellement l'alcool. C'est les pilules ! ] Il a fustigé le médecin privé de Rory de lui avoir prescrit la quantité de chose qu'il avait. Ce n'était pas une prescription de tablettes, c'était la combinaison. Jeté dans l'alcool et vous obtenez un cocktail détonnant."


La prise de ces médicament entraîne des changements physiques chez Gallagher. Une métamorphose clairement visible à partir de 1987, date de la sortie de l'album Defender, le guitariste a pris énormément de poids. Les 5 années de silence discographique couplé à l'annulation de l'album de 1986 (Torch) ayant sûrement été des soucis supplémentaires qui ont joué leur rôle dans l'aggravation de l'alcoolisme et la prise de comprimés de Rory. Et si l'on ajoute à cela l'immense solitude qu'éprouve Gallagher lorsqu'il n'est pas en tournée.

D'après Donal Gallagher, il n'a réellement pris conscience de l'état de son frère qu'à partir de 1990. Voyant que l'inactivité renforçait encore plus son mal être, il décide de le faire tourner un maximum: "Le seul remède pour Rory était de le garder actif, lui donner des dates et lui donner une vie...".
Mais même une fois sur la route, il n'arrête pas pour autant ses mauvaises manies et certains concerts pâtissent de ce comportement. Comme ce concert de décembre 1992 au Bataclan (Paris) où le guitariste visiblement imbibé d'alcool et sous l'effet des médicaments offre un spectacle déconcertant pour l'assistance.
Ce genre d'incidents devient vite récurrent comme l'explique Donal:

"A un des concerts londonien important, Rory a visiblement pris des tablettes ou quelque chose du même genre et les a immergés dans un verre de Cognac. Il allait bien avant de monter sur scène. Mais dans les 20 minutes à une demi heure, il ne pouvait pas comprendre pourquoi ses doigts étaient engourdis."

Comme le montre certains boots du débuts des 90's, les effets de l'addiction ont un impact sur la musique interprétée. Par moment Rory semble chercher ses notes ou les faits durer plus que de raison et lorsqu'il chante il peine à reprendre son souffle par moment.
Mais lorsqu'il est mis à l'écart des comprimés, il lui arrive de donner le meilleur de lui même comme le démontre le concert de Montreux 1994 ou le concert de Cologne de 1990.

"Sur l'une des dernières tournées, j'ai fais irruption dans son dressing, volé son sac dans le but de prendre les médicaments et voir ce qui allait se passer. Ses symptômes de sevrages étaient colossaux. Après une semaine, il transpirait les toxines et son appétit était revenu. Après trois semaines, il jouait mieux que jamais."
Malgré toutes les tentatives de Donal, les effets dévastateurs de l'alcool et des médicaments ont mis à mal la santé de Rory et provoqué des dégâts irréversibles au foie.
Lors de son ultime concert le 10 janvier 1995 aux Pays-Bas, il s'écroule sur scène. En mars de la même année, il subit une greffe d'urgence qui s'avère dans un premier temps un succès:

"Il entrait et sortait du coma et j'ai dû prendre la décision de faire une transplantation de foie, " raconte Donal. "Je ne m'attendais pas à être confronté à quelque chose comme ça, et l'horloge tournait parce que nous devions attendre un donneur."

Mais un microbe attrapé peu après l'opération va affaiblir son système immunitaire qui va conduire au rejet de la greffe. Les tentatives durant cette période de 3 mois d'agonie vont toutes échouer. Malgré les bons mots de rétablissement d'un Bob Dylan et les quelques notes d'harmonica de Mark Feltham, Rory décède le 14 juin 1995 au Kings College Hospital de Londres à seulement 47 ans.



Kings College Hospital de Londres
A l'annonce de son décès, les hommages affluent de toutes parts, ventants le talent et la générosité du défunt guitariste. Comme un rappel à ceux qui l'ont oublier, un journaliste du Irish Times dira: "Rory était dans tous les esprits le mercredi (jour de son décès), mais combien pensaient à lui le mardi ?"
Les obsèques de Rory ont lieu le 17 juin 1995 à Cork dans l'église du Saint Esprit en présence de sa famille, ses proches et ses vieux compagnons de route ainsi qu'une foule d'admirateurs venue lui rendre un dernier hommage.
Son corps repose au St Oliver's Cimetery à la sortie de la ville.

Tombe de Rory Gallagher au St Oliver's Cimetery

"It's better to burn out than to fade away" comme le dit un autre solitaire, Rory Gallagher a malheureusement choisit la seconde option, ce qui rend son trépas bien plus amer encore...

2 commentaires:

  1. The Hillbillyblues29 mars 2011 à 09:21

    Rory est sans conteste un des artistes les plus sous-estimé qui soit. La citation du "Irish Times" n'est malheureusement que trop vraie; situation absolument indigne du bonhomme ne serait-ce que pour son immense talent (quel jeu mes amis, quel jeu...), mais aussi pour sa générosité éblouissante témoin d'une réelle passion (c'est là qu'on maudit le ciel de ne pas être né 30 ans plus tôt). Je ne suis pas un adepte des concerts mais Rory fait surement parti des quelques artistes exceptionnels que j'aurais voulu voir en live.

    Mais honnêtement (et honteusement? ), le coté culte et "seulement connu des initiés" fait que je suis encore plus fier d'apprécier ce génie. On rechignerait presque à en parler aux autres, on voudrait le garder uniquement pour soit prétextant que la populasse ne mérite pas une si bonne musique (ouais, je vais peut être un peu loin là...mais je ne le pense pas moins :)).

    Sinon je tiens à dire que ce blog est très intéressant et permet de se familiariser aisément avec la discographie de l'irlandais.
    Bonne continuation :)

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  2. bel hommage Garbage Man,
    merci

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